Mon passé est une chose que j'aimerais effacer à jamais de ma mémoire. Malheureusement, bien trop de choses tendent à me le rappeler. Il me poursuit et moi je le fuis comme la peste. Suivez bien, je ne vous le conterais qu'une seule fois.

Je naquis en 1986, à Londres d'une union heureuse: fils unique d’une mère d’origine irlandaise et d’un père anglais. Donc autant vous dire que mon enfance n’a rien de difficile. J’étais choyé et surprotégé. J’ai fréquenté les meilleurs écoles et j’ai reçu une éducation exemplaire. Il faut avouer que lorsque votre père est au parlement, les choses vont tout de suite plus vite et mieux. Ma mère, quant à elle, ne travaillait pas. Elle était femme au foyer. Nous vivions à l’époque dans Kensington, un peu le « quartier français » de Londres, j’ai d’ailleurs fréquenté pendant quelques années le lycée français. C’est pourquoi je parle couramment le français encore aujourd’hui.
Scolairement parlant, j'étais sérieux. Il faut dire que ma mère me faisait durement travailler tous les soirs et je n'étais pas très casse-cou petit, donc je suivais assidument. Je développais d'ailleurs, très jeune, une passion pour les livres et la musique. J'appris à jouer du piano et du violon. Je pense que c'est pour ça que j'ai une allure aussi psycho-rigide aujourd'hui, on m'a toujours appris à bien me tenir, à me montrer heureux alors qu'au fond non. Ma mère me répétait tout le temps: "Archibald, toujours montrer aux autres ce qu'ils veulent voir." Elle a toujours eu raison ma mère. C'est une femme très intelligente bien qu'elle n'ait jamais menée ses études à terme, c'est dommage, je pense sincèrement qu'elle aurait pu aller loin.

Mes études ne sont pas très atypiques pour un anglais je dois dire. A la fin de ma scolarité, je me suis inscrit dans divers prépas parisiennes. Je fus pris dans l'une d'elle, et vint m'installer donc sur Paris. J'occupais un petit appartement en colocation dans le quartier latin. Très bien placé. Ma vie là-bas fut juste magique... Enfin, ma colocataire était magique. Elle s'appelait Quiterie. Elle fréquentait une école d'art graphique. J'avais dix neuf ans à l'époque et je savais que je voulais faire ma vie avec elle. Malgré mes études qui devenaient de plus en plus dure, je parvins à me rapprocher d'elle. Au début, il faut avouer que je ne savais comment m'y prendre. Elle était un peu mon inverse, assez fétarde, très vivante. Alors que moi, j'étais -et je reste encore- un peu froid et détaché d'apparence, calme, réservé. Et pourtant à la fin de la première année, je parvins à la conquérir. Elle me complétait. Je l'aimais à la folie.

J'attaquais dés lors ma seconde année de prépa, la chose devenant d'autant plus hardue que j'avais été admis en prépa étoile. Mais nous vivions toujours ensemble, et alors qu'approchait la fin de l'année et la période des concours, nous nous sommes rendu compte l'importance qu'avait pris notre relation dans nos existences respectives. Je vais vous passer sous silence toute la douloureuse période des concours, des oraux et l'attente des résultats. Quoi qu'il en soit je fus accepté à l'ESCP. Je m'inscrivis à leur campus sur Paris pour ma première année, ce qui me donna l'occasion de rester avec Quiterie une année en plus. Cependant le temps passe très vite, et cette troisième année de vie commune arriva très vite à son terme. Et je décidais alors de retourner à Londres pour poursuivre mes études sur le campus anglais de l'ESCP. Ce qui impliquait de la quitter elle... Je ne pouvais m'y résoudre. J'avais vingt et un ans lorsque je lui fis ma demande en mariage. Elle accepta. Nous nous sommes unis un peu plus tard la même année. Je rentrais donc en Angleterre avec la certitude que Quiterie était mienne. J'étais heureux.

Et pourtant notre histoire ne dura pas longtemps.

Il me semblait qu'à partir du moment ou on s'était dit oui, il n'y aurait plus de sujets tabous entre nous. Enfin, surtout au niveau des sujets les plus graves. Après chacun possède son petit jardin secret. Quiterie, elle, en avait un immense. Si gros, qu'elle ne m'en avait jamais parlé. J'en pris connaissance lors de ma vingt quatrième années. Cela faisait à peu prés six ans que nous étions ensembles et quatre ans que nous étions mariés. Nous ne vivions pas ensemble à ce moment là. Elle était en France et je terminais mes études en Angleterre. On me téléphona un matin pour m'apprendre le décès de ma femme. Sur le coup je n'ai pas tout saisi. Au fond, à vingt quatre ans, vous êtes encore jeune, vous avez plein de rêves. Le mien était simple: terminer mes études, rejoindre Quiterie et fonder une famille. Et là, au début de l'histoire, on m'annonce la mort de ma femme. Je pris, en moins de cinq secondes, un gros coup de vieux. Les explications que l'on me donna, restaient très vague. Ce n'est qu'en me rendant à son enterrement, que ses parents m'apprirent qu'elle était atteinte d'une maladie incurable et qu'elle pouvait mourir à n'importe quel moment.

Je ne sais pas comment on est censé décrire ce genre de truc. Personnellement, je l'ai vécu comme une trahison. Et je ne pense pas retenter l'expérience. Je ne pense pas pouvoir affronter ça une deuxième fois. Et malgré le fait que j'ai décidé de profiter un peu de la vie, je ne cesse de penser à elle.